Les pâtis communaux
Le lavoir du Basmont est devenu un but de promenade vespérale pour les habitants de Ruffey. Le passant, qui flâne sur le sentier ombragé longeant le ruisseau, ne peut imaginer que la possession de ces petits jardins familiaux a donné lieu à des litiges passionnés. Dans le passé, toucher aux communaux, c’était porter atteinte à une histoire ancestrale ! A travers leur étude, transparaît l’âme de notre village, d’où l’intérêt de s’interroger sur leur nature et sur leur destinée au travers des diverses procédures relevées.
I. Les communaux, propriété collective des habitants
Appelés pâtis ou pâquis, nos communaux existent depuis la nuit des temps. Dès l’antiquité, mais plus précisément à l’époque franque, les terrains de faible valeur, situés dans des zones humides ou trop sèches étaient laissés à l’usage collectif et exclusif des habitants.
Pierre de SAINT-JACOB, dans son ouvrage sur les paysans de la Bourgogne du Nord au siècle dernier, précise « que le finage est la possession du village. C’est par la résidence que l’on appartient à la communauté ».
Encore faut-il satisfaire à diverses obligations :
– Faire état de bonnes vie et mœurs devant le conseil de communauté réuni au lieu accoutumé (à Ruffey près du four banal).
– Payer le droit d’habiter. A Ruffey, en 1596, les habitants paient le « droit de bourgeoisie » (droit d’habiter le bourg) qui s’élève à deux « émines d’avoine » payables le lendemain de la Toussaint à peine de 60 sols d’amende.
– Contrôle très sévère des « étrangers ». En 1751, un acte du Seigneur de Ruffey défend aux habitants de recevoir des étrangers.
L’administration des communaux est collective. L’assemblée du village se réunit au lieu accoutumé et décide du mode d’exploitation, des dates de vaine pâture, ainsi que de tous les actes et procédures nécessaires.
Ces prérogatives sont régulièrement reconnues. Ainsi, une transaction passée le 27 octobre 1577 entre Bernard DESBARRES et les habitants confirme leurs droits sur les communaux.
« Les habitants d’Echirey et de Bellefond jouiront respectivement les uns et les autres de tous les droits, treige, possessions, liberté, usages et pâtures comme ils ont fait du passé sans aucune innovation. »
Mais avec les progrès de l’agriculture cette possession paisible est remise en cause.
II. Vers une appropriation individuelle des communaux
Cette tendance va se développer avec les progrès de l’agriculture. Or, ces terrains, pour les plus pauvres, représentent un intérêt vital. C’est la raison pour laquelle ils vont lutter pied à pied contre les tentatives d’accaparement. Toutefois, il convient de distinguer deux périodes dont la charnière se situe à la révolution.
A. Avant la révolution
Les tentatives d’accaparement ou d’usurpation résultent soit du seigneur, soit de paysans aisés. Le seigneur profite des difficultés financières de la communauté pour s’approprier les communaux.
Les paroisses doivent faire face à des charges écrasantes liées aux guerres incessantes (notamment en 1636) :
– hébergement et nourriture des troupes,
– procès interminables,
– épidémies.
Pour y faire face, elles recourent à l’emprunt auprès du seigneur ou des riches particuliers. En garantie, elles abandonnent une partie de leur patrimoine :
– en 1607, un acte confirme la concession faite par les habitants d’Echirey de leur droit sur les bois des Aiglottes en échange d’un secours pour un procès.
– en 1613, Pierre DESBARRES utilise une autre technique, il concède aux habitants de Ruffey deux passages sur ses terres pour le bétail en échange d’une pièce de terre.
Au besoin, le seigneur s’adresse à la justice pour obtenir ce qu’il convoite (procès contre la communauté pour obtenir la propriété des noyers plantés sur les pâquis communaux).
Les particuliers tentent de s’approprier les communaux par une occupation sans titre.
De nombreux procès illustrent ces difficultés, en particulier le procès GRUARDET-MILLE et le procès CONTOSSET. Dans les deux cas, les communaux font l’objet d’usurpation.
Ainsi, GRUARDET loue des terrains appartenant à Mme MILLE de Dijon. Ces biens jouxtent les communaux. Peu à peu, l’empiètement exercé par le « rentier » devient intolérable, le procès est inévitable. L’acte introductif d’instance précise que « les habitants n’ont presque plus de terrain pour faire paître leurs vaches et que les plus pauvres en souffrent énormément ».
B. Après la révolution
Les bouleversements politiques remettent en cause les usagers antérieurs. La commune remplace la paroisse et le système féodal s’effondre. Par ailleurs les révolutionnaires consacrent le droit de propriété individuelle. Pour ces nouvelles collectivités locales, deux conséquences en résultent ouvrant une période procédurale longue et fastidieuse.
– Fixer les limites territoriales de la commune,
– Procéder au bornage des communaux et leur répartition entre les sections de Ruffey et Echirey.
1. Limites du finage
Alors que la délimitation du territoire se fera aimablement avec Varois, une longue procédure opposera Ruffey-lès-Echirey et Bellefond. Ces deux communes disposent de pâquis communs. Or, les impôts fonciers étaient payés intégralement par les habitants de Ruffey-lès-Echirey. La détermination des limites de chaque collectivité et la part d’impôt leur revenant va donner lieu à d’âpres discussions et de longues procédures dont voici la chronologie.
24.01.1844 Ruffey-lès-Echirey demande au Préfet le partage amiable des pâquis,
04.08.1844 Refus de Bellefond notifié par le Préfet,
01.07.1845 Autorisation de Ruffey de demander le partage en justice, ainsi que le remboursement des impôts fonciers, 27.08.1846 M.RENAUDET, géomètre, est désigné par les deux communes.
Février 1846 Bellefond doit rembourser à Ruffey les impôts fonciers depuis 1811 à raison de 55/120°.
Le litige se terminera en 1850 par le remboursement des frais de plaidoirie.
La répartition des communaux entre les sections d’Echirey et Ruffey va suivre une évolution similaire.
2. Répartition des communaux entre les sections d’Echirey et Ruffey
La procédure de bornage se heurte aux contestations soulevées par les acquéreurs de biens nationaux appartenant à l’émigré BOUHIER. Elle va durer de 1796 à 1842.
03.06.1796 Estimation du moulin du Basmont,
22 prairial an 4 Adjudication de ces biens à David Samuel BLUM, négociant à Dijon.
Parallèlement, vente du Basmont à M.LAGUESSE par ces derniers.
19.06.1814 Vente par Anne Augustine Bénigne ESPIARD épouse de Jean-Baptiste Lazare Pierre ESPIARD, habitant la Cour d’Arcenay, héritière BOUHIER, de deux terrains au sieur LAGUESSE,
– d’un terrain de 6,50 ares au milieu duquel coule l’eau sortant de la fontaine appelée « la Cuve du Basmont »,
– d’un terrain ou était autrefois le moulin et dépendances dit « écoute s’il pleut » de 17,28 ares lieu dit Espréaut,
– d’une rente foncière de 30 livres tournois.
22.06.1810 Pétition présentée au préfet par M.VIENAILLAUD portant opposition à la demande de vente au profit d’Echirey des arbres qui appartiennent à la succession BOUHIER.
02.04.1810 Il est fait droit à cette pétition.
13.08.1814 Pétition au Préfet : M.LAGUESSE demande la distraction du bord septentrional du bief du moulin du Basmont compris dans la vente des terres communales d’Echirey et Ruffey.
27.09.1814 Désignation de M.MOREL, arpenteur pour faire procéder au bornage.
05.08.1815 Demande de sursis à aliénation.
25.04.1815 Nomination de M.DETOURBET, arpenteur géomètre, pour assister les sieurs MOREL et LAUIZON.
04.04.1819 Présentation par M.LAGUESSE de ses titres et réalisation du plan de bornage.
15.06.1819 Approbation du plan de bornage. La division en lots sera confiée à M.MOREL de la ROCHETTE et donnera lieu à l’attribution de 115 lots à Ruffey et 54 lots à Echirey.
02.02.1834 Paiement de 149,25 fr pour extraits de plans.
09.08.1842 Paiement des frais d’arpentage facture de 1 832,80 fr ramenés à 1 232,80 fr par le Préfet.
Près de cinquante ans ont été nécessaires pour apaiser ces querelles. Ces temps sont heureusement révolus. Ils traduisent cependant l’attachement viscéral des habitants à ces droits immémoriaux qui nous enracinent dans un terroir.
Marie-Odile REBILLY